Bonjour Vivien,
Ecrire bonjour est
pour nous de l’espérance. Tu es toujours présent parmi nous. Et cela nous fait
tenir. Nous nous accrochons à une paroi qui déchire nos mains, mais nous ne
lâchons pas prise. Pourtant nous prenons des coups dans la gueule. Je reconnais
qu’ils sont sans conséquence par rapport à ce que tu as pris.
Hier, ton certificat
médical décrivant tes lésions s’est gravé dans nos rétines. Notre moral s’est
fracturé comme ta boite crânienne. Ta mère et moi, un court instant, sommes
devenus deux loques décérébrées, puis tant bien que mal nous avons trainé notre
carcasse vers un hôtel aussi vivant que ton coma.
La vue était l’hôpital
qui t’héberge, le son était les sirènes des ambulances et le vrombissement des
turbines d’hélicoptères. Nous t’avons vu dans un brancard en descendre. Du coup
ce matin, nous sommes dans de nouvelles chambres, avec une baignoire afin que
ta mère puisse se réparer dans un bain bien chaud, avec vue sur mur. Elle
correspond à la vision que nous nous faisons de notre avenir. Oui, nous sommes un peu détruits.
Ok, par rapport à toi
nous sommes en pleine forme et nous ne devrions pas nous plaindre. Mais que
veux-tu, nous sommes reliés à toi et notre moral suit les variations de ton
PIC.
Sinon, tout va bien.
Des terroristes s’adonnent au tir à la mitraillette et tirent sur tout ce qui
bouge. Pour l’instant tu es tranquille ; tu ne bouges même pas une
oreille.
Nous avons longuement
discuté de toi avec ta mère et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il
fallait te serrer la vis. Donc dès que tu te réveilles, tu t’en prends deux,
une de ta mère, une de ton père. Ta sœur Ninon réclame sa part. Tu as gagné
trois claques.
Antonin s’est endormi
hier soir, puis en se réveillant il a dit :
Didget dot. Didget est
tiste. Traduction : Vivien dort, Vivien est triste. Il semblerait qu’il
ait fait semblant de dormir pendant une heure.
« Ta mère, elle choure ton polaire, ton
manteau et bientôt ton téléphone et ta taie d’oreiller et ta sœur t’a chouré
ton sweat !! Toi qui es connu pour te fringuer comme un as de pique, elles
sont fringuées comme un as de pique » : ta maman.
Aujourd’hui une
petite, toute petite nouvelle, ton PIC a baissé. Du coup nous sommes allés sur la Canebière.
« La foule défilait pour la liberté, cela
a filé des frissons à ta mère, car la France est le pays des droits de
l’homme » dixit your mother.
Ce qui ne nous a pas
empêchés de nous carapater et de nous enfermer dans un café en pensant à toi.
Nous ne sommes pas agoraphobes, mais un rassemblement de plus de deux personnes
nous angoisse fortement.
Nous devions rentrer à
l’hôtel directement mais le bus en a décidé autrement, il nous a déposés devant
ta résidence provisoire. Nous avons eu, ainsi le plaisir de découvrir ton
regard profond. Un interne examinait tes yeux. Ensuite tu avais des larmes qui
coulaient. A l’instant, je me demande si tu pleurais parce que tu sentais notre
présence, et que tu savais que nous allions repartir sans prendre le temps de
t’accompagner. Je sais mon fils, mais les médecins nous déconseillent de te
solliciter. Ta mère crève d’envie de te prendre dans ses bras et de te serrer
très fort. Elle préfère mettre toutes les chances du bon côté de la
balance : « celui de la vie et de l’amour donné et partagé ».
Bisous.
Ps : A l’époque
lorsque nous avons pris connaissance du rapport initial, nous avons réalisé
l’importance des blessures qu’avait subi notre fils : multiples fractures
ainsi que de nombreux hématomes dans la boite crânienne. Nous avons réalisé ce
qu’avait enduré notre fils ; il était encore conscient aux urgences de Gap,
deux heures après son accident. Ce qui sur le moment, lors du coup de fil reçu
pendant ma navigation, ne m’avait pas permis de comprendre la gravité extrême
de l’accident de Vivien.
Ce fameux vendredi, la seule certitude des médecins étaient que si notre fils vivait, il
serait sourd de l’oreille gauche. Il
entend parfaitement de cette oreille. Il n’y a aucune connotation critique vis-à-vis
du corps médical. Je pense tout simplement que la médecine est, vis-à-vis du
cerveau et de ses périphériques, balbutiante. Et pourtant, les connaissances
ont été suffisantes pour maintenir notre fils en vie. En « réa », ils
sont doués pour maintenir les corps en vie. Vous leur amenez un blanc de
poulet, il vous le ranime. Par contre un cerveau défectueux restera défectueux.
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