Hier,
je n’ai pas pris mes petites pilules pour dormir. J’ai dormi d’un sommeil plus réfléchi
sans coefficient de réfraction. Les rêves étaient plus matérialistes. Terminé
les hippopotames en tutu, les éléphants bleus fumeurs de baobab, les déesses
séniles qui hantaient mes nuits, les léopards en string humain, les intégristes
de la paix, les pourfendeurs de buches, les baromètres fluorescents, les
cornacs dans le coma, les montées de libido face à un silex biface, les bols de
café où le contenu devennait le contenant…lorsque je me réveille la nuit, les
pensées sont plus claires et plus réalistes. Si je supporte le réel, c’est que
le réel est supportable, si le réel est maintenant supportable c’est parce que
mon grand fiston va mieux.
Je
n’écris pas qu’il est sorti d’affaire, je ne désire pas attirer l’attention des sorcières maléfiques qui l’ont endormi.
Hier,
Vivien m’a rembarré. N’est-ce pas un signe positif ? Monsieur refusait de
mettre sa capuche, alors que son corps frêle avait oublié les caresses de la
bise de Normandie. Il a fait sa première sortie à l’extérieur, moitié siège à
roues, moitié chaussures.
Vivien
attend une place en centre de rééducation fonctionnelle. Pour l’instant il
profite de la vie. Entre les petits plats préparés avec amour par sa mère, les
visites de ses potes, la lecture des bandes dessinées, la visite de la famille,
les câlins de sa maman chérie il n’a pas le temps de s’ennuyer.
Tous les jours sous l’impulsion des injections
d’anti coagulants, il fait une promenade sur ses deux jambes. La motivation
première pour l’acquisition de la marche n’est pas l’autonomie comme chez le
commun des mortels, mais la peur des piqures. Chacun sa motivation, et seul le
résultat compte.
Qu’il
marche sans appui est un exploit, car ses jambes sont aussi grosses que deux
baguettes chinoises. Il y a une semaine, il tenait tous juste debout avec
l’aide d’une tierce personne qui n’était pas la troisième car il n’était que
deux. De plus comble de l’absurdité elle n’était pas chinoise. Comment a-t-elle
su manier deux baguettes ?
Les
sens fonctionnent, même l’ouïe. Pourtant nous avions été préparés à une surdité
de l’oreille gauche. Une fracture du rocher entraine une surdité. Et bien non,
il entend parfaitement quand je susurre à son oreille : petit con. Je
n’écrirai pas la réponse de peur de choquer des parents bien-pensants.
Voilà
les nombreuses raisons qui ont provoqué la fuite des petites pilules que
j’affectionnais tant. Pour compenser leur absence, je picole un peu plus et roule
un petit pétard du soir. Terminé les rêves studieux. Maintenant je rêve de
nuages roses, de fées nues, de lignes de coke interminable, de farandoles de
petits chevaux à base de bisphénol, de tours Eiffel plantées, du bouc de
monsieur Seguin, et de massacre à la tronçonneuse sur tous les conifères
qui squattent nos montagnes.
Je
suis contre l’éradication des arbres, mais je suis partisan des montagnes
chauves. Je suis écologiste mais pas con.
Cette
navigation est symbolique. La dernière navigation était le jour de l’accident
de Vivien. Cinq mois plus tard, le premier mai, Ninon, Vivien et moi fîmes le
voyage du retour. Nous passâmes devant les mêmes falaises sur lesquelles une
partie de mon Moi restera à jamais figé. Ce fut un moment intense.