Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 8 mai 2016

Dix septième lettre



vendredi 23 janvier 2015

Jour du poisson. Crois-tu que le produit contenu dans la perfusion qui t’alimente soit à base de poissons ? Si plus tard, en te promenant sur les quais de Fécamp une nuée de goélands te suit tel un navire de pêche glissant « sur les gouffres amers », tu en connaîtras la raison.
Hier tu as parlé. Je reconnais pour un gamin de seize ans cela n’a rien d’extraordinaire. Cependant, nous étions ravis et ta sœur écroulée de rire.
Une pauvre infirmière abandonnée par ses collègues tentaient de poser des électrodes sur ton crane. Tu la tapais et tu l’insultais de tous les noms d’oiseaux, et pas n’importe quel oiseau. Bref, la pauvre n’arrivait pas à «  t’électroencéphalogrammer ». La présence de ta sœur et de ton père t’ont amené un peu de sérénité. Ensuite tu es devenu un patient patient, ce qui ne t’empêchait pas de la mitrailler d’insultes. Pendant ce temps, nous nous marrions comme des malades. 
Ta mère malheureusement était absente, elle était en entretien privé avec un beau professeur de ton service. Apparemment l’entretien s’est bien déroulé, elle en est ressortie toute ragaillardie*.
Ta sœur est repartie. À peine nous a-t-elle quittés, que sa maladie est revenue. Je pense que le meilleur antidote pour elle est de se faire câliner par sa mère et son père.
Ta mère m’oblige à faire la vaisselle. Elle n’arrive pas à comprendre que la souffrance qui squatte mon âme est telle qu’il m’est impossible de faire la moindre tâche matérielle. Ta mère t’a enfanté dans la douleur. Éprouver sa chair et son sang lui est familier. Elle est armée et capable malgré toute la souffrance qui pèse sur ses frêles épaules d’avoir une maîtrise de ses mains et donc de faire la vaisselle. Mais que nenni, tu la connais. Elle est obstinée, têtue comme une mule, et elle préfère fumer une clope que de participer à un jeu récréatif. Car malgré son âge et son vécu, elle  ignore le bien-être qu’apporte la vaisselle sur les femmes lorsqu’elles sont dans le tourment.
Ta mère vient de lire le texte. Elle a compris mon désarroi, elle fait la vaisselle.
Bisous



* Désolé Fabienne, nous te connaissons et savons tous que cela est vrai, pardon, mes doigts ont fourché, est faux. L’humour, la dérision et l’absurde étaient nos uniques armes pour combattre l'enfer.

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