Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

samedi 28 mai 2016

Trente-sixième lettre




mercredi 11 février 2015

Il me tarde que tu puisses lire notre correspondance à sens unique. Plus tôt tu pourras lire, plus tôt je pourrai cesser cette page quotidienne d’écriture. Je commence à m’assécher. La grande quantité de pinard que j’absorbe tous les soirs est insuffisante pour réhydrater mon imagination. Il suffirait que je commente les informations du jour pour palier ma créativité défaillante. Je n’écoute pas les informations, du moins à Marseille. Le manque de temps et un épuisement dû à l’énorme inquiétude à ton sujet sont les seuls et uniques responsables de cette désinformation.
Le matin, à peine levé, je t’écris aidé par deux cafés. A peine t’ai-je écrit que je saute dans mes tennis pour courir un peu. A peine ai-je couru que je déjeune. A peine ai-je déjeuné que je bouquine un peu, ou quand ta mère n’est pas conciliante, je m’attaque à la vaisselle. A peine ai-je terminé que nous prenons les transports en commun afin de te rejoindre à l’hôpital nord. Le transport se scinde en trois parties : bus, métro, bus. Le cumul des trois est égal à une heure. De 12h30 à 18h00 nous t’accompagnons. Du moins ta mère s’amuse avec les jeunes et beaux internes pendant que ton père viole les petites vieilles en fin de vie. Chacun son trip. A 18h00 nous regagnons nos pénates en utilisant les transports en commun en sens inverse : bus, métro, bus. Ce qui additionné, correspond approximativement à une heure. Non, une demi-heure de plus car je descends quelques stations de bus avant, afin de m’aérer la tête et accessoirement de rencontrer une dame abandonnée afin de la consoler. Ta mère ayant découvert mon manège, m’accompagne en tant que garde chiourme. Je soupçonne Anneso d’être le commanditaire de cette surveillance rapprochée. Elle a convaincu ta mère sans problème. Moi qui suis l’innocence même. Donc après cette balade en liberté conditionnelle, nous préparons le repas, dinons, lisons et dormons.
Hier tu étais en peu plus présent que la veille. Tu avais encore ce fameux tube dans la bouche. L’avantage de ce tube est double. Je peux te raconter des conneries, tu ne peux pas répondre, et toi tu ne peux pas en raconter.
Tu as la main droite attachée. Ta mère se régale avec. Elle la tripote, l’embrasse. Hier je l’ai surprise en train de sortir un cutter. Ce n’était pas pour découper le lien qui te retient, mais pour emmener la main avec toi. Depuis qu’elle a lu une revue médicale sur les greffes, elle est persuadée que si elle garde ta main au frais, les chirurgiens peuvent te la recoller le lendemain et ainsi de suite. J’ai eu du mal à la persuader du contraire. Heureusement que le chirurgien chef qui est un pédagogue, né doublé d’une gravure de mode, a réussi à convaincre ta mère en l’emmenant dans son appartement privé.
C’est pour cela que je suis contre la vulgarisation de la science. Les néophytes prennent souvent au pied de la lettre ce qu’ils ne comprennent pas. En tout cas, je préfère prendre mon pied avec une personne de sexe féminin qu’avec la lettre Q.
Mission accomplie, j’ai réussi une nouvelle fois à t’écrire.

Bisous

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