Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

mercredi 25 mai 2016

Trente-quatrième lettre



Lundi 09 février 2015

La nuit précédente tu as retiré ta sonde œsophagienne (elle passe par le nez). Ce n’est pas bien. Elle permet de te nourrir. Du liquide nutritionnel y passe et va directement dans l’estomac. Lorsque tu es à table et que tu perds la fourchette, tu la ramasses et tu continues de manger tes pates à la carbonara sans aucune réflexion existentialiste. Mais là, ton existence est en jeu. Surtout que tu refuses de reprendre la sonde. Ne t’inquiète pas, la médecine a plus d’un tour dans son sac, et elle te nourrira par voie sanguine. Je reconnais que tu n’apprécias que très modérément le menu proposé.
Le menu proposé est choisi par les parents. J’ai lâchement profité de l’absence de ta mère pour choisir tes menus. J’ai libéré mon côté sadique qui a pris un pied d’enfer. D’ailleurs ta mère qui  a pris l’habitude de lire le texte dès que j’ai le dos tourné (merde à la maman qui le lira) va hurler. Quand je termine ma page d’écriture je prends le large, et je ne reviens que lorsque ta mère a digéré la torture infligée à son petit bébé  rose chéri mignon des iles vierges. Je t’ai choisi tes parfums préférés : épinard, ratatouille, haricot vert, endive cuite…pourtant il y avait plein d’autre choix, tel que pizza, kébab, pates à la carbonara…sur les frites, j’aurais été intraitable. Tu sais très bien pourquoi.
Hier, ta sœur est repartie dans les bras de Gwendal. Elle a eu le plaisir de te voir légèrement réveillé. Vous avez communiqué. Tu clignais des yeux pour dire oui. Tu serrais les mains pour dire non. Ou le contraire, je ne sais plus. C’est pour cela que par la suite, nous avons eu un dialogue de sourd. Je confondais à chaque fois le oui et le non. Après son départ, tu as été de nouveau anesthésié. Les médecins désiraient remettre ta sonde nasale. Comme tu viens de le lire, ce fut un échec. La conséquence est que ta mère ne t’a pas vu vraiment réveillé. Elle s’est vengée en t’embrassant et te câlinant sans interruption. Les infirmières sont intervenues pour te libérer de l’emprise fusionnelle de la mère. La diplomatie et la violence n’eurent aucun effet sur son amour débordant. Elle s’accrocha à toi comme un string à la raie des fesses. Elles ne réussirent pas à la déloger. Ta mère avait un argument indémontable. Elle s’accrochait à ta perfusion. Je suis rentré seul chez Béa et ta maman chérie a dormi avec toi.
Dès que je termine mon texte, je prends la poudre d’escampette. Ta mère a toujours eu du mal avec la vérité. Si je reste, je risque de passer un mauvais quart d’heure. Il y a une chance sur deux que je me retrouve en réa.

Bisous.

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