Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 1 mai 2016

Neuvième lettre



Quinze jours maintenant que du dors. Hier, il paraît que tu t’es réveillé un quart d’heure. Tu n’étais pas que réveillé, tu as serré la main de l’infirmière lorsqu’elle te l’a demandé.
Lorsque nous avons appris la nouvelle j’étais avec Sylviane, nous sommes tombés dans les bras de l’un de l’autre. J’ai eu ensuite ta mère au téléphone qui a pleuré de joie, Ninon aussi, Anneso de même. Bref, nous nous sommes permis d’ébruiter la nouvelle. C’était la première fois depuis quinze jours qu’un rayon de soleil perçait notre angoisse.
Nous attendons avec appréhension le contact de quinze heures. Nous espérons que tu n’as pas rechuté ou raté de nouveau un virage.
Cette nuit, j’avais des tas de chose à te raconter et là, mon esprit est aussi vide que le tien sous anesthésie.
L’heure H approche. H comme haschich. Tiens ! Il me vient une idée, une idée qui souvent hante la tête de parents responsables. As-tu déjà fumé du shit ? Ta mère ne le pense pas, ta sœur m’a certifié que non. Donc j’en conclus que tu n’en as jamais fumé. Heureusement, car si jamais je te surprends, je le dis à ta mère. Ainsi l’image de l’enfant idéal s’écornera. Alors s’il te plaît ne tombe pas dans des chemins de traverse menant à des bourbiers. Nous ne sommes pas certains d’avoir l’énergie de t’en sortir.
Encore un quart d’heure avant d’avoir un médecin au téléphone. J’angoisse. Par moment je suis en colère après toi. Je t’en veux d’avoir refusé le casque, je t’en veux d’avoir posé tes lunettes ailleurs que sur ton nez.


Encore dix minutes. Cependant je suis heureux que tu te sois éclaté avec ton pote, je suis heureux que tu aies apprécié de skier, je suis heureux que tu aies un ami à ta mesure. Te souviens-tu de ton voyage en hélicoptère ? J’écris pour passer le temps. Les aiguilles tournent trop doucement. Je vais aux toilettes, le temps passera plus vite.   
Les nouvelles sont toujours bonnes. Les médecins te réveillent un quart d’heure par jour. Le but est que tu respires de nouveau par toi-même. Tu es aussi passablement agité. Donc pour avoir la paix, ils te rendorment.

Il y a deux nuits, tu t’es réveillé et tu as hanté les salles de l’hôpital en réclamant de la chair humaine. Ton apparence était plus Zombie que vampire. Des tuyaux sortaient encore de ton crane et de ta bouche. Un écran de contrôle, lié à toi, suivait tant bien que mal tes déambulations. Une horde d’infirmiers hagards te poursuivait prudemment. Servir d’hors-d’œuvre ou de gâteaux apéritifs ne leur convenait pas.  Toi, endormi par une surdose d’anesthésiques, poursuivait ton chemin sans te retourner en criant :
- Chair humaine ! Chair humaine !
 Tu as repéré une jolie infirmière grassouillette et tu l’as pistée afin de te rassasier. Tu n’étais pas très rapide. Ta longue immobilité et les nombreux accessoires que tu traînais ralentissaient ta marche, heureusement pour la demoiselle. Rassure-toi, tu n’as dévoré personne. C’est un vétérinaire avec un fusil hypodermique qui t’a endormi.
Les médecins nous ont suppliés de ne pas t’en parler pour ton bien-être mental. Mais je préfère que tu connaisses la vérité, surtout depuis la nuit dernière où tu as essayé de me croquer un doigt.
Bisous.

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