Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 22 mai 2016

Trentième lettre



  

Jeudi 05 février 2015
 


Le corps épousait la forme du lit. Le lit formait un N. Il était un N majuscule. Ton corps aurait difficilement accepté la courbure imposée d’un n minuscule. Les pieds représentaient la base du N, les genoux pliés en étaient le premier sommet, les fesses marquaient la gorge profonde, puis la tête surmontée d’un pic surplombait le N.
Les jambes maigrelettes imitaient parfaitement le trait de crayon, tu as les cuisses aussi grosses que les mollets. Ta tête penchait à droite. Tes yeux mi-clos imperturbables à nos mouvements fixaient peut-être le paradis perdu. Ta main droite tremblait et semblait chercher désespérément une main à saisir. Ta bouche était toujours envahie par des tuyaux.
Hier tu as perdu ton pic, qui était un capteur de PIC.
 Donc mon fils tu vas beaucoup mieux.
 Donc nos yeux naguère absorbés par la courbe de ton PIC ont scruté ton corps et tes réactions. Les informations transmises étaient difficilement recevables. A part l’écriture du N, rien ne nous rassurait. Si !! Tu obéis. Lorsque l’interne te crie dans les oreilles un ordre, tu obtempères. Un ordre simple qui n’a aucun rapport avec le tri sélectif :
- VIVIEN SERS MOI LA MAIN 
Tu la serres.
J’éviterai dans le proche avenir de te dire :
- Tu me casses les couilles.
Aujourd’hui ta sœur, qui s’est offerte une semaine de congés sans solde, vient nous rejoindre. Tu ne la verras pas, car elle arrive au train de six heures. Tu devras comme d’habitude supporter ses sarcasmes. Je sais, tu y es habitué, et ta nouvelle philosophie t’empêche de répondre.
Le café est trop chaud. J’attends qu’il refroidisse avant de le boire, intéressant. 
Je vais stopper l’écriture pour aujourd’hui, j’ai l’esprit plein de fiel. Et il me faut un peu de temps pour digérer. Et je n’ai pas envie que ma bile se déverse sur cette correspondance.
Qu’elle va être notre surprise aujourd’hui. C’est le problème des surprises, je n’ai aucune réponse.
.
Ta mère, pour conjurer le sort se sacrifie en s’attaquant à la vaisselle. Ici ce n’est pas une mince affaire. C’est un combat de titan. Les écuries d’Augias sont en comparaison du pipi de chat dans une litière fraichement changée. Afin de ne pas froisser les Dieux, je ne l’aiderai pas. Elle doit accomplir seule sa mission. Elle accomplit un rituel afin que tu reviennes à nous le mieux possible. Quand je la vois se débattre avec les couteaux tranchants, les verres récalcitrants, les assiettes sournoises, les cuillères mordantes et les bols qui n’ont pas de bol, mon cœur saigne. La voir souffrir m’arrache les viscères, seuls les testicules restent accrochés grâce au slip. Je hurle de douleur. Le combat est inégal. Ta mère a vaincu.
Je peux enfin cesser de décrire ce choc inégal.

Bisous.

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