Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

mardi 31 mai 2016

Trente-neuvième lettre



                             samedi 14 février 2015

Dans cinq mois tu auras 17 ans.
Comme un con j’ai mis la machine à laver le linge en fonction, une machine innovante! Plus le linge est sale, plus elle émet des ondes sonores afin d’extraire la saleté des moindres recoins. Je vais avoir les oreilles très propres.
Si le bruit est efficace pour la saleté, il est moins pour l’écriture. La preuve, sur quatre lignes je n’ai  rédigé que sur le lave-linge et sa voix éraillée.
L’évènement tant attendu par ma paresse arrive. Tu sais lire ! Il t’aura fallu dix-sept ans pour apprendre, mais tu sais lire. Hier tu as lu à ta mère quelques lignes à haute et intelligible voix. J’ai toujours dit que je cesserai d’écrire lorsque tu seras capable de lire sans fatigue plusieurs pages, et surtout de t’ingurgiter L’Etre et le Néant d’une traite. Ce jour-là je stopperai le lourd labeur quotidien : aligner sur l’écran des idées dissolues.
Tu lis, tu pleures, tu réfléchis, tu taquines, tu  fais plein de bisous, tu exprimes ton bonheur, tu exprimes ton mal être, tu serres la main de ta maman chérie, tu exprimes ton mal au cul, tu commentes les émissions de télé, tu as découvert que tu avais des fils sur la tête, tu pleures quand tu nous vois arriver, tu nous salues de la main lors de notre départ, tu acceptes ton état sans broncher, tu rêves de ta maman, tu souris d’entendre le nom de tes amis, tu m’obliges à masser tes pieds, tu adores nous tenir la main, tu parles, tu bouges tes jambes et le bras droits avec aisance, tu commences à remuer ton bras gauche, tu reconnais la voix d’Antonin et de Louise, tu ris de nos blagues, tu fais des blagues, tu fais de gros câlins à ta mère, tu refuses pendant notre visite qu’elle s’en aille, tu fais des doigts d’honneur à ton père, tu dors, tu réclames tes lunettes, tu désires te promener dans un jardin, tu es patient, tu salues de la main tes correspondants téléphonique, tu lèves les jambes, tu baisses les jambes, tu saisis un mouchoir, tu t’essuies la bouche, tu tournes la tête, tu es sage, tu joues, tu as le sens de l’humour, tu cogites, tu veux sortir, tu es pressé de revenir en Normandie, tu es impatient de retrouver les êtres aimés…en bref, tu vis.
Tu as changé de service. Tu as quitté la réanimation, tu as intégré les soins intensifs. Nous croisons les doigts afin qu’un évènement indésirable t’évite.
Ninon et Gwendal débarquent à Marseille. D’un train, le verbe « détrainent » serait plus adapté. Hugo et ses parents arrivent. Tu vas passer une journée intense en émotion et surement très fatigante. J’espère que tu seras au mieux de ta forme pour profiter au maximum de ces instants.
Que puis-je écrire d’autre ? Nos visites quotidiennes nous permettent d’échanger. Pour l’instant nos échanges sont partiellement à sens unique. J’en profite pour t’asséner mes vérités. Je sais que cela ne durera pas. Bientôt mes concepts seront contrés par ton sens de la repartie. Tant mieux.

Bisous.

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