Mardi 03 février 2015
Nous sommes hébergés
par Béatrice, une très bonne amie de Jean. Nous sommes situés à l’autre
extrémité de Marseille, à la Pointe Rouge et au bord de la mer. Je prends un
café tout en écrivant. Le café est marron noir, la tasse est blanche, la table
est en bois sombre. La table est dans une cuisine sise dans une maison qui est
elle-même posée à fleur de rue. La rue est dans Marseille. Voilà le lieu de
villégiature de tes parents.
Il semblerait que hier
soir j’ai laissé la bouteille de vin se vider dans le verre, car en me couchant
j’avais la tête qui tournait. Cela n’a pas empêché le sommeil de me recouvrir
d’une chape de plomb.
J’ai oublié la souris
à l’hôtel, du coup j’ai emprunté sans le lui demander, celle de Béa qui
s’ennuyait accrocher par un fil à l’ordinateur. Qu’elle ne se plaigne pas la
souris. Elle n’est reliée que par un fil. Tandis que toi, mon fils pour être
connecté, tu es connecté. Un écheveau de fils t’entoure. Les fils sont
multidirectionnels. Ils enregistrent le moindre battement de tes cils, te
nourrissent, t’endorment, te réveillent, te massent les jambes, recueillent ton
urine, te gonflent les poumons, de dégonflent les poumons, t’emmènent sur le
web, et surtout dès qu’ils transmettent une information qui ne convient pas à
un écran, celui-ci hurle comme un malade
(ça fait deux malades). Ce qui provoque
dans ta chambre une cacophonie à ne pas réveiller un comateux. Alors que l’on
ne vienne pas nous dire que ta vie ne tient qu’à un fil.
Ta sœur Ninon a validé
son trimestre. Elle a oublié te le dire dans sa lettre.
A la maison c’est un peu le bordel, la nounou
est malade. C’est Granny qui gère les enfants. Bref t’imagine un peu la
pagaille que cela doit être. Tu connais ton père, je me suis précipité à ton
chevet et ai lâchement abandonné Anneso. Je n’ai même pas eu besoin d’inventer
un prétexte. Ma souffrance de te voir endormi avec un espoir dont l’épaisseur
est inversement proportionnel à ton PIC est un argument inébranlable. Pendant
que ma tendre et chère se débat comme un vibro-masseur laissé à lui-même sur
une table en formica, je bouquine, me promène, me repose grâce aux petites
pilules et accessoirement vais te voir.
La souffrance d’un
parent quand le pronostic vital d’un enfant est engagé lui donne un statut.
C’est toi qui es dans la merde, et c’est moi (je parle en mon nom) qui en
récolte le fruit. Je reconnais qu’il a un gout amer et que je n’en retire pas
grand plaisir. De toute façon je n’ai jamais été fada de fruit.
Vendredi dernier, ton
PIC est monté à 33. Sachant que lorsqu’il dépasse 20 c’est craignosse,
t’imagine notre angoisse. Nous craignons que l’énorme pression ait déplacé la
matière grise entre tes jambes et que Rocco Sifredi se considère par rapport à toi comme un
lilliputien.
Ce sera tout pour
aujourd’hui. La maison se réveille et mon imagination timide se terre dans un
environnement de plus de deux personnes.
Bisous.
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