Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

vendredi 20 mai 2016

Vingt-huitième lettre



Mardi 03 février 2015
Nous sommes hébergés par Béatrice, une très bonne amie de Jean. Nous sommes situés à l’autre extrémité de Marseille, à la Pointe Rouge et au bord de la mer. Je prends un café tout en écrivant. Le café est marron noir, la tasse est blanche, la table est en bois sombre. La table est dans une cuisine sise dans une maison qui est elle-même posée à fleur de rue. La rue est dans Marseille. Voilà le lieu de villégiature de tes parents.
Il semblerait que hier soir j’ai laissé la bouteille de vin se vider dans le verre, car en me couchant j’avais la tête qui tournait. Cela n’a pas empêché le sommeil de me recouvrir d’une chape de plomb.
J’ai oublié la souris à l’hôtel, du coup j’ai emprunté sans le lui demander, celle de Béa qui s’ennuyait accrocher par un fil à l’ordinateur. Qu’elle ne se plaigne pas la souris. Elle n’est reliée que par un fil. Tandis que toi, mon fils pour être connecté, tu es connecté. Un écheveau de fils t’entoure. Les fils sont multidirectionnels. Ils enregistrent le moindre battement de tes cils, te nourrissent, t’endorment, te réveillent, te massent les jambes, recueillent ton urine, te gonflent les poumons, de dégonflent les poumons, t’emmènent sur le web, et surtout dès qu’ils transmettent une information qui ne convient pas à un écran, celui-ci  hurle comme un malade (ça fait deux malades).  Ce qui provoque dans ta chambre une cacophonie à ne pas réveiller un comateux. Alors que l’on ne vienne pas nous dire que ta vie ne tient qu’à un fil.
Ta sœur Ninon a validé son trimestre. Elle a oublié te le dire dans sa lettre.
 A la maison c’est un peu le bordel, la nounou est malade. C’est Granny qui gère les enfants. Bref t’imagine un peu la pagaille que cela doit être. Tu connais ton père, je me suis précipité à ton chevet et ai lâchement abandonné Anneso. Je n’ai même pas eu besoin d’inventer un prétexte. Ma souffrance de te voir endormi avec un espoir dont l’épaisseur est inversement proportionnel à ton PIC est un argument inébranlable. Pendant que ma tendre et chère se débat comme un vibro-masseur laissé à lui-même sur une table en formica, je bouquine, me promène, me repose grâce aux petites pilules et accessoirement vais te voir.
La souffrance d’un parent quand le pronostic vital d’un enfant est engagé lui donne un statut. C’est toi qui es dans la merde, et c’est moi (je parle en mon nom) qui en récolte le fruit. Je reconnais qu’il a un gout amer et que je n’en retire pas grand plaisir. De toute façon je n’ai jamais été fada de fruit.
Vendredi dernier, ton PIC est monté à 33. Sachant que lorsqu’il dépasse 20 c’est craignosse, t’imagine notre angoisse. Nous craignons que l’énorme pression ait déplacé la matière grise entre tes jambes et que Rocco Sifredi  se considère par rapport à toi comme un lilliputien.
Ce sera tout pour aujourd’hui. La maison se réveille et mon imagination timide se terre dans un environnement de plus de deux personnes.
Bisous.

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