Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 8 mai 2016

Seizième lettre



jeudi 22 janvier 2015

Hier fut un jour sans écrit. La nouvelle d’avant-hier et une impossibilité technique sont les responsables de mon abandon.
Mardi fut pour toi un renouveau. A notre arrivée une certitude était enfin là : tu étais réveillé. Ils t’avaient « extubé ». Tu étais libre de tes mouvements. Presque, les bras et les jambes étaient attachés. Tu es trop agité et tu as une tendance à vouloir prendre la poudre d’escampette.
Nous avons pu enfin, ta mère, ta sœur, et ton papa, chacun à notre façon, communiquer avec toi.  Nous avons eu chacun notre ressenti. Le seul ressenti que je puisse connaître est le mien. Étant donné que tu ne parles pas et que ta gestuelle est parasitée par de nombreux spasmes musculaires dus à un traumatisme crânien, nous avons chacun une interprétation de tes réactions. Elle est fonction du vécu que nous avons eu avec toi. Ta mère qui t’a porté pendant neuf mois n’a pas les mêmes perceptions que ton père qui a juste trempé son zizi dans le pilou pilou de ta maman pendant cinq secondes. A l’époque j’étais éjaculateur précoce. Ta sœur, qui malgré les nombreux différents qui vous opposaient, a une complicité avec toi que nous, les parents n’avons pas.
En tous cas, quelles que soient nos impressions, nous avons vécu un moment intense. D’une telle intensité que les mots n’ont pas le pouvoir de le décrire. Personnellement, j’ai été sur un petit nuage pendant quelques heures. L’inconvénient du petit nuage est qu’il manque de stabilité, et l’équilibre est souvent précaire. La chute est systématique et la violence du choc, moins violente que la tienne, est sans pareille.
J’espère que mon imagination déraille. Car elle te voit enfermer dans ton Moi avec une impossibilité à communiquer. Une prison qui serait ton corps, un corps qui égoïstement refuserait te laisser échapper. Et toi tu luttes afin de briser les barreaux virtuels. Peut-être, que ton expérience de Minecraft  avec son monde parallèle, te permettra de contourner et de t’évader de ta propre prison.
Hier était déjà un jour sans, tu étais agité. Pour avoir la paix et te protéger contre toi-même, tu as reçu une dose de calmant. Tu sentais notre présence, et ta souffrance étalait son emprise sur tout ton corps. Seules nos caresses semblaient t’apaiser.
Pourtant je devrais jubiler, tu es revenu parmi nous. Mais ton retour dans notre monde est synonyme de souffrance. Tant que tu étais dans le coma tu ne souffrais pas. Lorsque ton corps se tord, se contracte, puis se détend violemment, d’après le corps médical, ce sont les suites de ton «  grave » trauma crânien. Cela rassure tout le monde et basta. Qui connaît ta souffrance à part toi. Il t’est impossible sur une échelle de un à dix de situer ta douleur. Pourquoi tapes-tu violemment ton bras contre les parois du lit ? Tu tapes avec une telle violence, qu’ils t’ont mis une attèle afin de te protéger. Pourquoi tournes-tu la tête avec un rictus de douleur ? Pourquoi ouvres-tu les yeux avec un tel sentiment d’injustice ? Est-ce moi qui interprète des gestes qui n’ont aucune signification et qui sont les conséquences de ton accident ? Même si j’accepte cette idée, une autre plus violente m’assaille. Je ne puis pas les décrire toutes. Même si l’espoir qu’un jour tu sois heureux maintient mon moral dans les limites de l’acceptable. L’abattement est toujours présent. C’est cela, ton bonheur. J’aimerais que tu sois heureux, heureux de vivre, de vivre une nouvelle vie imposée par la science et le corps médical. Il y dix ans ou dans un autre hôpital, tu n’aurais pas survécu à tes blessures. Pourvu que la science, qui t’a imposé une renaissance, puisse t’aider à retrouver un peu de bonheur. J’écris cela égoïstement, je souffre de te voir souffrir.
Bisous

vendredi 23 janvier 2015

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