jeudi 22 janvier 2015
Hier fut un jour sans
écrit. La nouvelle d’avant-hier et une impossibilité technique sont les
responsables de mon abandon.
Mardi fut pour toi un
renouveau. A notre arrivée une certitude était enfin là : tu étais
réveillé. Ils t’avaient « extubé ». Tu étais libre de tes mouvements.
Presque, les bras et les jambes étaient attachés. Tu es trop agité et tu as une
tendance à vouloir prendre la poudre d’escampette.
Nous avons pu enfin,
ta mère, ta sœur, et ton papa, chacun à notre façon, communiquer avec toi. Nous avons eu chacun notre ressenti. Le seul
ressenti que je puisse connaître est le mien. Étant donné que tu ne parles pas
et que ta gestuelle est parasitée par de nombreux spasmes musculaires dus à un
traumatisme crânien, nous avons chacun une interprétation de tes réactions.
Elle est fonction du vécu que nous avons eu avec toi. Ta mère qui t’a porté
pendant neuf mois n’a pas les mêmes perceptions que ton père qui a juste trempé
son zizi dans le pilou pilou de ta maman pendant cinq secondes. A l’époque
j’étais éjaculateur précoce. Ta sœur, qui malgré les nombreux différents qui
vous opposaient, a une complicité avec toi que nous, les parents n’avons pas.
En tous cas, quelles
que soient nos impressions, nous avons vécu un moment intense. D’une telle
intensité que les mots n’ont pas le pouvoir de le décrire. Personnellement, j’ai
été sur un petit nuage pendant quelques heures. L’inconvénient du petit nuage
est qu’il manque de stabilité, et l’équilibre est souvent précaire. La chute
est systématique et la violence du choc, moins violente que la tienne, est sans
pareille.
J’espère que mon
imagination déraille. Car elle te voit enfermer dans ton Moi avec une
impossibilité à communiquer. Une prison qui serait ton corps, un corps qui
égoïstement refuserait te laisser échapper. Et toi tu luttes afin de briser les
barreaux virtuels. Peut-être, que ton expérience de Minecraft avec son monde parallèle, te permettra de
contourner et de t’évader de ta propre prison.
Hier était déjà un
jour sans, tu étais agité. Pour avoir la paix et te protéger contre toi-même,
tu as reçu une dose de calmant. Tu sentais notre présence, et ta souffrance
étalait son emprise sur tout ton corps. Seules nos caresses semblaient
t’apaiser.
Pourtant je devrais
jubiler, tu es revenu parmi nous. Mais ton retour dans notre monde est synonyme
de souffrance. Tant que tu étais dans le coma tu ne souffrais pas. Lorsque ton
corps se tord, se contracte, puis se détend violemment, d’après le corps
médical, ce sont les suites de ton « grave » trauma crânien.
Cela rassure tout le monde et basta. Qui connaît ta souffrance à part toi. Il
t’est impossible sur une échelle de un à dix de situer ta douleur. Pourquoi
tapes-tu violemment ton bras contre les parois du lit ? Tu tapes avec une
telle violence, qu’ils t’ont mis une attèle afin de te protéger. Pourquoi
tournes-tu la tête avec un rictus de douleur ? Pourquoi ouvres-tu les yeux
avec un tel sentiment d’injustice ? Est-ce moi qui interprète des gestes
qui n’ont aucune signification et qui sont les conséquences de ton
accident ? Même si j’accepte cette idée, une autre plus violente
m’assaille. Je ne puis pas les décrire toutes. Même si l’espoir qu’un jour tu
sois heureux maintient mon moral dans les limites de l’acceptable. L’abattement
est toujours présent. C’est cela, ton bonheur. J’aimerais que tu sois heureux,
heureux de vivre, de vivre une nouvelle vie imposée par la science et le corps
médical. Il y dix ans ou dans un autre hôpital, tu n’aurais pas survécu à tes
blessures. Pourvu que la science, qui t’a imposé une renaissance, puisse
t’aider à retrouver un peu de bonheur. J’écris cela égoïstement, je souffre de
te voir souffrir.
Bisous
vendredi 23 janvier
2015
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