jeudi 12 février 2015
Hier tu étais assis
sur une chaise. Il est difficile de ne pas être assis sur une chaise. C’est
même la fonction essentielle de la chaise. Il arrive parfois que lorsque les
pots de confiture de mémé Hortense jouent à cache-cache en haut des placards,
que la position debout puisse être requise. Position dangereuse, surtout si la
chaise à une faiblesse au niveau des hanches. Tu avais un fauteuil médicalisé
bien stable et aussi costaud que la polaire rouge de ton père. Tu étais assis,
je me répète, mais tu étais assis. Les pieds reposaient sur un marchepied. Les
genoux les surplombaient, les fesses confortablement installées étaient à la
même hauteur que les genoux. Et pour couronner l’évènement, le buste portant
fièrement la tête se tenait fier comme Artaban. La tête était capable de se
tenir seule sans dodeliner. Tu étais attaché afin qu’un vrai mouvement ne te
précipite pas sur le plancher des vaches. Il y a les vaches mais pas les
bouses. Tu arrivais à décoller tes pieds du marchepied afin de les donner à ton
père pour qu’il te les masse.
La position sembla te
donner conscience de ta situation. Tu devins plus attentif et surtout plus
sensible. Lorsque tu entendis la cacophonie des voix mixée de Louise et Antonin,
tu pleuras à grosse larmes. Anneso pleura aussi lorsqu’elle te parla et que tu
lui répondis en agitant ta main. Tu nous souris puis tu pleuras de nouveau.
Pendant que ta mère s’adonnait à son vice (la clope), je t’expliquai les
raisons de ta présence au sein de l’hôpital. Tu pleuras lorsque je dis qu’Hugo
t’avais tenu la main après avoir appelé les secours. Je pense que tu lui dois
une fière chandelle ou une partie de ta vie. Tu pleuras lorsque je t’appris que
tu fus transporté en hélicoptère. Tu pleuras lorsque lassé par tes larmes, je
t’en collai deux.
Ce fut une journée
émotionnelle. Ta mère et moi, décontenancés par tant d’émotions, nous
réfugiâmes dans un restaurant où nous dévorâmes une fondue savoyarde. Nous
picolâmes aussi. Et le retour vers la maison de Béa fut ponctué de points-virgules
(pour une fois que j’arrive à placer un point-virgule, je ne vais pas me gêner).
Afin d’avoir de la
matière pour écrire, hier j’écoutai France info. La radio était en grève.
Antonin est très
épuisé. Maintenant la nounou le porte pour aller et revenir de l’école. Ton
frère est un sacré loustic. D’ailleurs Antonin et Louise doivent être sur le
chemin de l’école.
Le rétrécissement des
paragraphes est le symptôme de l’assèchement de mon réservoir à idées.
J’allais oublier.
Comme quoi, l’esprit efface rapidement les faits désagréables. Tu n’as plus de
tube dans la bouche, tu es délivré. C’est pour cela que tu as pu t’asseoir. Tu
avais juste un masque avec un peu d’oxygène et de temps en temps des aérosols.
Les aérosols sont utilisés pour diminuer ton œdème que tu as autour de la
trachée.
Nous espérons que tu
n’auras pas profité de la nuit pour faire des conneries. Pour l’instant tu n’as
pas le droit de sortir le soir, ni même la journée. Pour les discothèques et
autres lieux festifs tu attendras un peu, beaucoup. Par contre tu peux sans
restriction bouger les jambes, les bras, la tête et les oreilles sans sortir du
lit. Ce que j’écris paraît débile, mais la semaine d’avant, ta mère et moi nous
demandions si un jour, t’arriverais à les remuer. Pour les oreilles, nous
serons tolérants, si tu ne les bouge pas, nous ne te cognerons pas.
Bisous
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