Je publie avec l'accord de mon fils Vivien, les lettres journalières que je lui ai adressées. Cela est probablement une forme d’exhibitionnisme, mais aussi un partage thérapeutique.

dimanche 29 mai 2016

Trente-septième lettre



jeudi 12 février 2015

Hier tu étais assis sur une chaise. Il est difficile de ne pas être assis sur une chaise. C’est même la fonction essentielle de la chaise. Il arrive parfois que lorsque les pots de confiture de mémé Hortense jouent à cache-cache en haut des placards, que la position debout puisse être requise. Position dangereuse, surtout si la chaise à une faiblesse au niveau des hanches. Tu avais un fauteuil médicalisé bien stable et aussi costaud que la polaire rouge de ton père. Tu étais assis, je me répète, mais tu étais assis. Les pieds reposaient sur un marchepied. Les genoux les surplombaient, les fesses confortablement installées étaient à la même hauteur que les genoux. Et pour couronner l’évènement, le buste portant fièrement la tête se tenait fier comme Artaban. La tête était capable de se tenir seule sans dodeliner. Tu étais attaché afin qu’un vrai mouvement ne te précipite pas sur le plancher des vaches. Il y a les vaches mais pas les bouses. Tu arrivais à décoller tes pieds du marchepied afin de les donner à ton père pour qu’il te les masse.
La position sembla te donner conscience de ta situation. Tu devins plus attentif et surtout plus sensible. Lorsque tu entendis la cacophonie des voix mixée de Louise et Antonin, tu pleuras à grosse larmes. Anneso pleura aussi lorsqu’elle te parla et que tu lui répondis en agitant ta main. Tu nous souris puis tu pleuras de nouveau. Pendant que ta mère s’adonnait à son vice (la clope), je t’expliquai les raisons de ta présence au sein de l’hôpital. Tu pleuras lorsque je dis qu’Hugo t’avais tenu la main après avoir appelé les secours. Je pense que tu lui dois une fière chandelle ou une partie de ta vie. Tu pleuras lorsque je t’appris que tu fus transporté en hélicoptère. Tu pleuras lorsque lassé par tes larmes, je t’en collai deux.
Ce fut une journée émotionnelle. Ta mère et moi, décontenancés par tant d’émotions, nous réfugiâmes dans un restaurant où nous dévorâmes une fondue savoyarde. Nous picolâmes aussi. Et le retour vers la maison de Béa fut ponctué de points-virgules (pour une fois que j’arrive à placer un point-virgule, je ne vais pas me gêner).
Afin d’avoir de la matière pour écrire, hier j’écoutai France info. La radio était en grève.
Antonin est très épuisé. Maintenant la nounou le porte pour aller et revenir de l’école. Ton frère est un sacré loustic. D’ailleurs Antonin et Louise doivent être sur le chemin de l’école.
Le rétrécissement des paragraphes est le symptôme de l’assèchement de mon réservoir à idées.
J’allais oublier. Comme quoi, l’esprit efface rapidement les faits désagréables. Tu n’as plus de tube dans la bouche, tu es délivré. C’est pour cela que tu as pu t’asseoir. Tu avais juste un masque avec un peu d’oxygène et de temps en temps des aérosols. Les aérosols sont utilisés pour diminuer ton œdème que tu as autour de la trachée.
Nous espérons que tu n’auras pas profité de la nuit pour faire des conneries. Pour l’instant tu n’as pas le droit de sortir le soir, ni même la journée. Pour les discothèques et autres lieux festifs tu attendras un peu, beaucoup. Par contre tu peux sans restriction bouger les jambes, les bras, la tête et les oreilles sans sortir du lit. Ce que j’écris paraît débile, mais la semaine d’avant, ta mère et moi nous demandions si un jour, t’arriverais à les remuer. Pour les oreilles, nous serons tolérants, si tu ne les bouge pas, nous ne te cognerons pas.

Bisous


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